Ma fascination pour l'ésotérisme me mena aujourd'hui dans la capitale. Je volai donc, sur mon balai, jusqu'à l'Hôtel de Ville où débutèrent mes déambulations dans un Paris mystérieux sur les pas des alchimistes...
Traversant la Seine, longeant les quais et découvrant quelques jolies façades de maisons ayant abrité, autrefois, poètes et autres artistes, mon regard se posait déjà, avec un respect mêlé de cette même fascination qui m'avait portée jusque-là, sur toute vieille pierre et tout vieil arbre, témoins, pensai-je, de cette époque où les Alchimistes, cachés dans leurs laboratoires secrets pour échapper à une doctrine jalouse, tentaient de percer, dit-on, les secrets de la transmutation des métaux. J'étais déjà envoûtée par les mystères que recèle la ville.
A LA RENCONTRE D'ALBERT LE GRAND
Mes pas me portèrent jusqu'à la place Maubert où Albert le Grand dispensait, au XIIIème siècle, ses cours de sciences naturelles face à de fidèles et nombreux auditeurs. Je restai un instant sur cette place, imaginant l'érudit - auteur du Livre des Secrets, ouvrage sur les vertus des herbes et des pierres précieuses, et des Grand Albert et Petit Albert, livres de magie naturelle.
Tenait-il sur cette place un discours qui allait contribuer à avilir l'image de la femme comme le firent tant d'autres scientifiques de ce siècle ? En effet, le Dominicain - canonisé en 1931 et proclamé Docteur de l'Eglise par le Pape Pie XI - affirmait, par exemple, que, du fait des humeurs descendantes des femmes, humeurs noires qui encrassaient leur cerveau, la position, dans l'acte d'amour, où elles dominent leur compagnon était fort périlleuse pour l'homme, nous apprend Guy Bechtel dans son édifiant ouvrage La Sorcière et l'Occident.
AUTOUR DU MUSEE DE CLUNY, MUSEE NATIONAL DU MOYEN-AGE
Mes pas me menèrent ensuite jusqu'au Musée de Cluny, un musée qui me promet de belles rencontres ésotériques mais dont les portes resteront closes jusqu'en 2022. Je vais fébrilement patienter jusque-là pour découvrir, notamment, la pierre tombale du célèbre alchimiste Nicolas Flamel (1330 - 1418) et les tapisseries de la Dame à la Licorne, chef-d'oeuvre allégorique de l'art alchimique puisqu'elles représenteraient, d'après l'énigmatique Fulcanelli, les étapes de la transmutation des métaux.
J'arpentai néanmoins le Jardin Médiéval du musée, agréablement ombragé, où je pus m'instruire sur la Forêt de la Licorne : noisetiers, sureaux, cognassiers, houx, néfliers... entre lesquels pouvaient s'ébattre lapins, renards, singes, lions... et licornes. Les Hommes, eux, pouvaient s'y abriter lorsque la société les rejetait.
LA CATHEDRALE NOTRE-DAME DE PARIS
Je quittai le jardin pour me rendre à Notre-Dame de Paris que Victor Hugo - un nom éternellement (r)attaché à la cathédrale - considérait comme "l'abrégé le plus satisfaisant de la science hermétique" (l'alchimie).
A ce jour toujours séparée de moi et des autres visiteurs par des palissades, la majestueuse cathédrale recèle de symboles alchimiques qui sont autant d'indices menant au Grand Oeuvre : obtenir la Pierre Philosophale chère aux alchimistes pour transmuter le plomb en or ou jouir d'une vie éternelle. C'est encore à Fulcanelli que l'on doit les interprétations ésotériques des sculptures de Notre-Dame de Paris que l'on peut découvrir dans son ouvrage Le Mystère des Cathédrales.
Je quittai les lieux, longeant Notre-Dame comme pour prolonger notre rencontre, sous la majesté intimidante de ses deux tours...
L'EGLISE SAINT GERVAIS-SAINT-PROTAIS ET SON ORME
Lorsque j'arrivai devant l'église Saint-Gervais-Saint-Protais, j'ignorais qu'il s'agissait du lieu qui allait, durant ces pérégrinations, le plus me charmer.
Je découvris d'abord l'imposante façade de l'église puis posai mes yeux sur l'Orme qui, en un instant, m'envoûta. J'apposai alors mes mains sur son écorce sous le regard étonné des quelques personnes aux alentours, espérant humblement que l'arbre me gratifierait de ses forces bénéfiques qui font sa réputation. (Néo)païenne, la nature, ses lois, ses cycles, ses forces, ses caprices, ses bienfaits, ses dons... m'attirent et attirent davantage ma considération que les doctrines des hommes, aussi restai-je un instant là, au pied de ce bel orme, le contemplant, calme et le sourire aux lèvres.
Mais lorsque j'appris que l'église fut, au VIème siècle environ, le théâtre de faits miraculeux, ma curiosité l'emporta et je me détachai de l'Orme pour pénétrer dans l'édifice...
Là, mes yeux cherchèrent avant tout l'objet de mes émotions qu'il résonne dans l'église ou pas : l'orgue. Cet instrument a toujours exercé sur moi un pouvoir que je ne m'explique pas... et que je ne cherche pas à expliquer... et qui seul suffit à me faire pénétrer dans une église.
Puis je me rappelai la raison qui m'avait entraînée jusque-là, et me mis à la recherche des sièges de bois autour du choeur dont les fines sculptures représenteraient, encore une fois, les différentes étapes de l'oeuvre alchimique. Lorsque je pensai les avoir découverts, heureuse comme un explorateur qui découvre un trésor, je m'en allai non sans flâner encore quelques minutes autour de l'Orme...
LA TOUR SAINT-JACQUES
Assez vite je fus à la Tour Saint-Jacques, vestige de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie détruite en 1797, et bien connue des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle.
En revanche, seuls les adeptes de l'art hermétique la connaissent comme le carrefour de courants telluriques dont les Gargouilles indiquent les axes, et comme le lieu où serait enterré Nicolas Flamel lui-même - à supposer qu'il soit mort, l'alchimiste ayant possédé, dit-on, la Pierre Philosophale...
Si l'échoppe d'écrivain public de Nicolas Flamel se situait à côté de la Tour Saint-Jacques, sa demeure se dressait, elle, en face. Son laboratoire souterrain, protégé de sept portes, se trouvait entre les stations Hôtel de Ville et Châtelet de la ligne 1 du métro parisien. J'aurai désormais une pensée pour l'alchimiste à chaque fois que j'y passerai...
Le couple Flamel devenu subitement riche - ce qui nourrit la rumeur de la possession de la Pierre Philosophale par Nicolas Flamel -, l'Alchimiste fit de généreux dons à l'église Saint-Jacques-la-Boucherie et aux paroissiens démunis, et acquit un important patrimoine immobilier qui abrita des indigents dont la maison que j'allais voir bientôt...
Nicolas Flamel, qui se comportait comme un "bon chrétien" et faisait bénéficier l'Eglise de ses richesses, ne fut pas inquiété par l'Eglise catholique.
D'autres alchimistes, en revanche, bien que la philosophie hermétique ne menaçat pas le dogme catholique, éveillèrent les soupçons de la jalouse et intransigeante Eglise qui craignait de les voir véhiculer des idées hérétiques qu'il convenait donc de museler. Certains alchimistes eurent donc à craindre l'Inquisition, et tenaient leurs recherches secrètes et opéraient dans des laboratoires souterrains à l'abri des yeux inquisiteurs...
L'EGLISE SAINT-MERRI
Je poursuivis mon périple jusqu'à l'église Saint-Merri réputée pour être un haut lieu de rendez-vous des alchimistes et qui compte, elle aussi, de nombreux symboles de l'alchimie de son portail à ses vitraux en passant par sa sacristie.
Je retins un détail qui m'amusa : un étrange petit personnage sculpté au sommet du portail de l'église, petite créature ailée avec des seins de femme et un sexe d'homme, un petit démon cornu qui semblait se moquer de moi du haut du portail. J'appris que ce personnage, inquiétant pour certains, jovial et facétieux d'après moi, était appelé "Le Petit Baphomet", figure des Templiers - également frappés d'hérésie (L'Ordre du Temple, XIIème - XIVème siècle). Pour les alchimistes, il s'agit de Rebis, symbole du mercure et dont la mort donnera naissance au magnifique et éternel Phénix qui n'est autre que le personnage métaphorique de la Pierre Philosophale elle-même. Une bien jolie rencontre, en somme.
LA COLONNE ASTROLOGIQUE
Arpentant des rues plus agitées pour me rendre à la Colonne Astrologique de Catherine de Médicis, je fus extirpée un moment à l'Histoire, arrachée sans ménagement à l'ésotérisme par une vie moderne grouillante, bruyante et envahissante. Néanmoins, l'anecdote sur cette colonne, vestige du Grand Hôtel de la Reine, m'avait amusée, et la rêverie peu à peu se referma sur moi, bouclier apaisant me protégeant d'une vie moderne tonitruante et dérangeante, et m'emporta au XVIème siècle. J'appris, en effet, que Catherine de Médicis s'était réfugiée dans son hôtel et avait fait construire, en 1575, cette haute colonne, troublée par les prédictions d'une "diseuse de bonne aventure". Qu'avait donc prédit la Sorcière à la Reine ?
Mon corps réclamant sa pitance, je laissai la question en suspens dans mon esprit pour nourrir copieusement la matière et, fieffée païenne que je suis, fis allègrement fi du péché de gourmandise !
LA MAISON DE NICOLAS FLAMEL
Repue, je me dirigeai vers l'une des plus anciennes maisons de la capitale, la fascinante Maison de Nicolas Flamel dont je retrouvais l'histoire avec délectation ! Levant les yeux, j'aperçus, sous les fenêtres, l'inscription : 'Nous homes et fèmes laboureurs demourans ou porche de ceste maison qui fu fée en l'an de grace mil quatre cens et sept : sommes tenu chacû en droit sou dire tous les jours une pastrenotre et un ave maria", sans doute un rappel aux maraîchers et laboureurs logés là par Nicolas Flamel de réciter chaque matin des prières pour les morts...
L'HOTEL DE CAGLIOSTRO
Cagliostro... N'avais-je pas déjà lu ce nom quelque part ? Quoiqu'il en fut, son histoire m'était inconnue, et j'appris que le Comte de Cagliostro était un alchimiste du XVIIIème siècle, illustre guérisseur et véritable maître alchimiste pour certains, et talentueux imposteur pour d'autres.
L'ESOTERISME ET L'ALCHIMIE AUJOURD'HUI
Cette anecdote réveilla cette pensée qui sommeille en moi depuis longtemps, et que je développerai dans un prochain article.
Alors que jusqu'à, je dirais, la Renaissance, le monde de la Magie, de l'Invisible, celui des Sorcières et des créatures fantastiques se mêlait naturellement au quotidien des gens, peu à peu la société a fermé ses portes et son esprit, notre esprit, à ce monde merveilleux...
Mais aujourd'hui, marchant dans les pas de quelques alchimistes de la capitale, j'ai contenté, un peu, mon besoin d'émerveillement. J'ai nourri ma fascination pour l'ésotérisme et l'étrange. J'ai pensé à l'alchimie et à son Langage des Oiseaux. J'ai songé à la philosophie hermétique, à la purification et à l'élévation que véritablement recherchent les adeptes de l'alchimie. J'ai régalé ma curiosité d'anecdotes amusantes. J'ai aussi comblé mon attrait pour la marche. Bref, aujourd'hui, j'ai satisfait mon esprit et mon corps !
M'accompagnerez-vous dans mes prochaines pérégrinations historiques ?
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